Watzlawick, Nietzsche et la modélisation des systèmes…
Un sacré titre admettez-le ! (Moi je trouve)
Il peut cependant vous donner une petite idée de l’esprit qui inspirera Transitio. Réfléchir sur le temps présent, confronter et comprendre les différentes interprétations de nos réalités.
Trop facile de s’enticher d’une idée nouvelle et de la brandir comme une idole dont le culte dévot suffira à apaiser nos craintes ! Il n’y aura pas de solution miracle à la crise de civilisation dans laquelle nous entrons.
Aucune énergie merveilleuse ne viendra remplacer toutes les énergies fossiles qui s’épuisent, mais plutôt une myriade de solutions alternatives qu’il faudra savoir agencer avec sagesse et équité. Et surtout, aucune nouvelle idéologie ne viendra surpasser toutes les précédentes.
Impossible selon moi de se passer des sciences dites humaines, pour mieux comprendre et surtout utiliser avec intelligence les sciences dites « dures ».
Paul Watzlawick, dans son livre « L’invention de la réalité », fait un rappel utile sur ce qu’il désigne sous les appellations de réalités « de premier ordre » et « de second ordre », et il nous explique vers quelles utopies dangereuses l’incompréhension de leurs différences peut nous conduire.
« La réalité de premier ordre, celle qui correspond aux propriétés des objets, celle de tous les « faits » contenus dans un cadre particulier : celui de l’observation, ou de l’expérience (l’une comme l’autre n’étant, bien sûr, que le fruit de constructions théoriques) ; il s’agit autrement dit, de l’univers des « faits » que l’on établit objectivement, dans la mesure ou la répétition de la même expérience fournit les mêmes résultats, indépendamment de qui la réalise, et de quand et où on la réalise. »« La réalité de second ordre correspond au cadre dans lequel les « faits » reçoivent une signification ou une valeur. »
Dans son chapitre « La prétention à la scientificité » il nous avertit du risque suivant :
« Alors que cela à un sens, dans la réalité de premier ordre, d’examiner, par exemple, quelles opinions s’accordent ou non avec les faits concrets, il devient insensé, dans la réalité de second ordre, de discuter une « vérité » établie scientifiquement, ou de prétendre l’avoir trouvée. Prenons un exemple parmi tant d’autres possibles : il n’existe pas de solution « scientifique », « objective », au conflit entre les pays arabes et Israël ; pas plus que ce type de solution ne peut s’appliquer à un conflit entre deux individus. Les relations interindividuelles dépassent le cadre de la réalité de premier ordre, puisqu’il n’est pas possible de déterminer scientifiquement leur nature ; totalement construites par les partenaires, elles échappent à toute vérification objective. D’où l’échec d’une fois naïve en la raison, fondée sur la connaissance scientifique. D’où aussi l’échec des espoirs mis en l’homme « bon par nature » (Rousseau), que sa soumission volontaire, spontanée et raisonnable aux évidentes valeurs fondamentales, établies scientifiquement, rend toujours meilleur, et dont, de ce fait, mes désirs et besoins individuels finiront par coïncider avec ceux de la société.
C’est précisément là qu’on trouve le noyau des utopies scientifiques qui prétendent pouvoir construire un monde sain, où règne l’altruisme et la paix : dans la prétention – fondée sur la confusion des deux ordres de réalités – des idéologies à la scientificité. Quand elle se produit, cette confusion donne lieu à la construction d’une réalité qui n’a en rien besoin d’être identique au monde, aussi obligatoire, d’une quelconque autre idéologie « non-scientifique ».
Comment trouver la fragile passerelle qui nous permettrait de relier ces réalités si différentes ? Comment éviter de nous laisser emporter par de fatales erreurs ? Comment ne pas se retenir de vouloir donner du sens à tout ? Comment éviter de sacrifier au mirage de la modélisation scientifique par exemple ? C’est presqu’impossible, du fait que nos modes de pensée sont l’héritage d’une longue évolution dont nous avons oublié le parcours. Difficile de penser autrement que nous ne le faisons depuis si longtemps. Difficile de prendre conscience de nos déterminismes. Mais pourtant, pourtant, nous avons un atout que nos lointains ancêtres n’ont jamais eu. Nous vivons une époque, où plus que jamais auparavant, grâce à l’héritage d’un passé riche de réussites comme d’erreurs, il est devenu possible de s’instruire sur soi-même, les autres et le monde. Mais cela demande le courage d’oser savoir. Le fameux « Sapere aude ».
Pour conclure ce premier article sur ce sujet difficile, je me retourne vers mon ami Nietzsche et sa sagesse trop mal comprise.
Lisez, nous en reparlerons plus tard, sur Transitio…
" Nous ne voyons pas dans la fausseté d'un jugement une objection contre ce jugement ; c'est là, peut-être, que notre nouveau langage paraîtra le plus déroutant. La question est de savoir dans quelle mesure un jugement est apte à promouvoir la vie, à la conserver, à conserver l'espèce, voire à l'améliorer, et nous sommes enclins à poser en principe que les jugements les plus faux sont les plus indispensables à notre espèce, que l'homme ne pourrait pas vivre sans se rallier aux fictions de la logique, sans rapporter la réalité au monde purement imaginaire de l'absolu et de l'identique, sans fausser continuellement le monde en y introduisant le nombre. Car renoncer aux jugements faux serait renoncer à la vie même, équivaudrait à nier la vie. Reconnaître la non-vérité comme la condition de la vie, voilà certes une dangereuse façon de s'opposer au sens des valeurs qui a généralement cours, et une philosophie qui prend ce risque se situe déjà, du même coup, par-delà bien et mal. "
Nietzsche "Par-delà le bien et le mal" (1886), I, 4,
A suivre, sur Transitio !
Post Scriptum :
Plutôt les chemins éclairés et ardus qui gravissent sous le ciel brûlant du doute, Que les sentiers frais et humides qui serpentent à l'ombre des certitudes mortelles...
Voilà l'esprit de Transitio.
Au fait, j'espère que le titre ne vous a pas trop fait peur ! 😉
Bertrand Tièche
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