Un ouvrage pour les bibliophiles, pas vraiment pour les scientifiques.
Dans quelques siècles peut-être, des chercheurs étudieront avec respect et amusement, le pathétique rapport "Energies 2050" publié par le gouvernement en ce début d’année. Ils le liront comme les médiévistes de notre temps déchiffrent les antiques manuscrits enrichis de luxueuses enluminures dans lesquels des moines érudits défendaient pieusement le système de Ptolémée.
Les plus beaux esprits de cette époque lointaine mettaient en effet toute leur science au service du pouvoir en place, pour démontrer la justesse du géocentrisme (la terre au centre de l’univers), cette cosmologie farfelue remontant à l’antiquité. L’erreur de Ptolémée ne fut définitivement abandonnée par l'Église que sous le pape Benoît XIV vers 1750, non sans avoir donner quelques soucis à Kepler et Galilée !
En l’année 2011 de l’ère chrétienne, le Prince a donc commandé un tractatus à son zélé ministre de l’Économie des finances et de l’industrie, un rapport sur l’énergie, et qui plus est, à l’horizon 2050 ! En cette période de transition énergétique et de changement climatique, n’était-ce pas là une sage décision que celle de s’éclairer de conseils avisés, afin de faire de justes choix politiques ? Hélas, ce sinistre ministre s’est adressé aux seuls serviteurs de la sainte église technocratique et nucléaire ! Il aurait aussi bien pu invoquer l’esprit de Nostradamus…
Ce précieux ouvrage a de commun avec les vieux parchemins évoqués plus haut, le langage ampoulé et dogmatique de la scolastique médiévale, celui de ceux qui ont oublié quel était l’objet premier de la science. Son seul but est de servir, servir le Prince nucléocrate. Peu lui importe d’utiliser des données fausses ou en contradiction avec celles figurant dans d’autres rapports officiels. Peu lui chaut d’énoncer des assertions infondées, sa parole performative suffira à les nimber de radieuse vérité aux siècles des siècles.
C'est un rapport d’une valeur bibliophile inestimable, c’est une véritable pièce de collection. On y trouve des absurdités scientifiques aussi sophistiquées que les fameux équants de Ptolémée, comme l’électricité primaire par exemple ! (Cet absurde concept est destiné à faire croire que l’énergie nucléaire est d’origine nationale et faire oublier que l’uranium est totalement importé).
Mais ce n’est pas très charitable de se moquer ainsi d’une idéologie vieillissante. Le nucléaire, tout comme la scolastique médiévale, correspond à un moment de l’histoire, et ce, plus particulièrement en France. On sait en effet que l’atome a représenté pour toute une génération de Français qui avait vécu l’effondrement de 1940, la garantie du "plus jamais ça !". Pour cette génération traumatisée qui avait connu la panique de la défaite et qui enfant avait couru sur les routes de l’exode, le nucléaire signifiait une sanctuarisation du territoire. Cette science, de par sa nouveauté, était de plus synonyme de progrès. Le prétexte énergétique du nucléaire est venu plus tard dans son discours, à l’occasion du premier choc pétrolier. Mais à quoi bon juger le passé ? Le monde était si différent !
On le sait à présent, le nucléaire repose sur 3 mythes fondateurs, le mensonge de la sécurité, le mensonge de l’indépendance nationale et le mensonge de l’énergie peu chère. Mais nous devons faire l’effort de comprendre ceux qui sont encore sous l’emprise de ce funeste dogme. A nous de leur montrer que le monde a changé. A nous d’essayer de les rassurer, leur expliquer que la solution du pire n’est peut-être pas la meilleure. Ce ne sera pas facile évidemment, car lorsqu’une opinion s’est bien ancrée dans une société, elle devient une sorte de religion dont les mystères fondateurs sont devenus incompréhensibles ou ont été oubliés. Le nucléaire a de plus l’avantage de marquer les esprits par l’aridité toute scientifique de son discours, celui-ci impressionne autant que les creuses formules latines de la scolastique médiévale (et l’effet est le même).
Les énergies renouvelables sont hélas trop simples, trop naturelles, pas assez compliquées, et pire que tout, non seulement elles fonctionnent, mais en plus leur mise en œuvre est à la portée de tous ! On peut comprendre le désarroi de certains scientifiques, qui après avoir donné les plus belles années de leur jeunesse à des études difficiles et ingrates au sein de ténébreux monastères, voient leur prestigieux pouvoir contesté par des gugusses prônant une énergie inépuisable et accessible à tous !
Difficile donc pour la sainte église technocratique et nucléaire de comprendre la transition énergétique. Ses nombreux papes et thuriféraires tremblent d’inquiétude dans leurs cathédrales radioactives, devant les apôtres des énergies renouvelables qui tentent d’ériger de païennes éoliennes ou d’inoffensifs panneaux solaires !
Mais revenons à ce fameux rapport, que ma nature optimiste me fait considérer comme le signe de la fin d’une époque. N’hésitez pas à le télécharger en cliquant sur l’image ci-dessous.
Remarquez comme j’ai pieusement amélioré sa couverture.
Il se trouve également ici : http://www.strategie.gouv.fr/content/rapport-energies-2050
Je ne vais cependant pas vous en faire ici la critique exhaustive. Je laisse cela aux experts que je connais, ceux de Global Chance. Je vous conseille donc de lire mon article du 30 janvier, publié en première réaction à ce malheureux rapport du gouvernement : Global Chance analyse le rapport énergie 2050.
Vous voulez en savoir plus ? Voilà qui est bien ! Alors n’hésitez pas à visiter le site de Global Chance sur lequel tous les cahiers qu’ils ont déjà publiés sont à disposition, et surtout ne manquez pas la publication prochaine du N°31 dont l’un des chapitres traitera dans le détail de ce pauvre rapport énergies 2050.
Et puis il y a aussi cet article de Marie-Caroline Lopez sur le site de la Tribune "Des experts dénoncent les "erreurs" du rapport Energie 2050 d'Eric Besson", qui est très bien.
Je vous laisse vous régaler de tout cela.
A bientôt sur Transitio !
Bertrand Tièche
Post Scriptum :
Connaissez-vous les très riches heures du Duc de Berry ? Vous pouvez consulter cette petite merveille ici : http://crdp.ac-amiens.fr/ingedoc/carte_ressources/trhlivre.htm
Rendons à César :
L'enluminure du haut de page est celle du mois de septembre des très riches heures du Duc de Berry, que j'ai quelque peu retravaillée.
Le Louvre expose jusqu'au 25 juin 2012, 47 feuillets extraits de ce bel ouvrage : http://www.louvre.fr/expositions/les-belles-heures-du-duc-de-berry
Et le petit liquidateur qui figure en premier plan de celle-ci, provient du site suivant :http://lebetisierdunucleaire.wordpress.com/2012/02/05/872/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire