Depuis 2010, Transitio est un site dans lequel j'analyse à ma façon la formidable période de transition que nous vivons. J'ai commencé par me préoccuper de la transition énergétique (pour des raisons professionnelles), mais très vite il m'est devenu évident qu'il fallait s'intéresser également à toutes les autres formes de transitions en cours, économiques, sociétales, etc.
(Transitio.info remplace le vieux site Transitio.net, devenu techniquement obsolète)
dimanche 23 mars 2014
Reprendre le pouvoir ou s'en déprendre ?
Article mis à jour le 14/03/2023 avec le paragraphe sur le livre 7 de la République de Platon.
Voici un extrait de leur message, auquel je ne peux que souscrire :
« L’engagement citoyen ne se limite pas au vote et aux élections. Par nos actions individuelles et collectives sur nos territoires, par l’expérimentation de modes de gouvernance novateurs, par les ICE, nous pouvons vivifier la démocratie ! Plein d'autres pratiques remarquables existent : tirage au sort, référendum populaire, budget participatif, unions de quartiers… »
Quel programme me suis-je dit ! Le pouvoir ? Mais l’avons-nous seulement eu un jour ? Et que deviendrons-nous lorsque nous l’aurons obtenu ? Des gens ayant du pouvoir ? Du pouvoir sur quoi, sur qui ? Sur d’autres gens voulant reprendre ce pouvoir ?
Et si le pouvoir était la clé du problème ?
En cette période d’élections, je me suis demandé pourquoi nombre d’élus semblaient changer de personnalité lorsqu’ils accédaient à leurs fonctions.
Celle-ci devait se dérouler sur deux semaines. Les sujets (tous étudiants) ont été amenés à participer à un jeu de rôle. Un quartier de détention, plus vrai que nature, avait été construit dans les sous-sols de l’Université de Stanford pour les besoins de l'expérience. Les sujets ont été recrutés par voie de presse via le journal local. L'annonce promettait une rétribution financière de 15 dollars par jour pour les participants. Sur 70 candidats, 24 ont été retenus après avoir passé des tests psychologiques. Les 24 sujets étaient tous en excellente conditions physique et mentale et étaient issus de différents milieux et de divers endroits. Au hasard, la moitié d'entre eux a été choisie pour jouer les rôles de prisonniers et l'autre moitié, les rôles de gardiens de prison.
Quand l'expérience a démarré, les 12 sujets, qui jouaient le rôle des prisonniers, ont été arrêtés à leur domicile, alignés devant une voiture de police, menottés, fouillés et conduit à la prison.
Les gardiens devaient mener les prisonniers au sous-sol de l'université et rester avec eux.
Sitôt arrivés, les prisonniers ont été déshabillés et enduits d'une lotion antiparasite. Chacun recevait ensuite une casquette visant à dissimuler ses cheveux ainsi qu'une blouse qu'il devait porter sans sous-vêtements. Ils étaient ensuite conduits à leur cellule.
A l'inverse, les 12 sujets qui jouaient le rôle des gardiens de prison reçurent un uniforme, des lampes de poches, des lunettes de soleil et, bien sûr, l'autorité sur les prisonniers.
Certaines personnes ont craqué au bout de quelques jours. Et l'expérience a dû s'interrompre au bout de six jours !
En fait, les prisonniers se sont révoltés et les gardiens ont immédiatement répondus par la répression. Ils ont privé de nourriture ceux qui en demandaient et inversement ont forcé à manger ceux qui s'engageaient dans une grève de la faim. Ils soumettaient les prisonniers à toute sorte de sévices physiques : brimades et vexations. Ils allèrent jusqu'à les priver de sommeil, confiner certains d'entre eux à l'isolement total, leur faire nettoyer les toilettes à mains nues ou encore obliger d'autres à uriner dans un sceau.
Les résultats montrèrent que les prisonniers devinrent rapidement apathiques.
L'auteur ne pensait pas que cela pouvait se passer dans une situation de jeu et les résultats allèrent bien au-delà de ses attentes.
Cette expérience a montré que c'est la définition de l'environnement social qui structure les conduites et les perceptions, et ce, jusqu'à un point que nous sous-estimons...
Cette petite vidéo d'Arte vous présente l'expérience de Stanford et fait un rapprochement avec ce qui s'est passé dans la prison d'Abou Ghraïb.
Quel rapport avec le pouvoir politique ?
Peut-être que cette expérience vous rappelle celle de Milgram sur l’autorité ? Mais ce n’est pas à cela que je pense en évoquant celle de Stanford.
Je pense que le rôle qui vous échoit dans la société, que vous l’ayez choisi ou non, conditionne votre comportement. Ainsi ces étudiants qui jouaient à être des gardiens de prison ont fini par se comporter comme ils imaginaient être des gardiens de prison.
Contrairement à ce que dit le vieux dicton connu de tous : "L’habit fait le moine !".
Et pas seulement l’habit ! Le décor également !
Comment ne pas finir par se comporter comme un monarque, lorsque la fonction à laquelle le suffrage populaire vous a élu, vous oblige à vivre dans des palais ornés de toutes les luxueuses marque du pouvoir absolu ? (Marbre, dorures, tableaux, etc.)
Comment ne pas finir par croire que si l’on se retrouve là après avoir été élu, c’est parce que l’on a un destin, une mission ? Comment ne pas croire, consciemment ou non, que l’on n’est pas seulement un élu, mais l’élu ?
Combien d’hommes politiques auraient la force de caractère et l'intégrité d’un Lucius Quinctius Cincinnatus pour retourner comme lui labourer nu son champ, après avoir eu le pouvoir absolu ?
Le rôle qui vous échoit, le costume qui vous pare, le décor qui vous entoure, et vous voilà autre…
Voilà probablement pourquoi l’oligarchie perdure de siècle en siècle, quel que soit le régime politique...
Se déprendre du pouvoir...
J'étais perdu ce matin dans ce genre de réflexions, lorsque je suis tombé en parcourant Facebook, sur une vidéo de l'inclassable Etienne Chouard, ce professeur qui défend avec ardeur l'idée d'une démocratie par tirage au sort (Quelle illusions !). Voici le lien vers son site : Le Plan C : Instituer une vraie démocratie par une Constitution d'origine Citoyenne.
Dans cette courte vidéo, Etienne Chouard parle de la drogue du pouvoir, celle qui transforme les gens.
Je pense qu'il n'est pas loin d'avoir raison. Je doute cependant que cette addiction au pouvoir puisse disparaître. Tout au plus pourrions-nous imaginer des solutions pour atténuer l'ivresse qu'il donne à nos cerveaux de primates, conditionnés depuis des millénaires à la soumission aux mâles dominants.
Désacraliser les fonctions politiques ?
Faire travailler nos présidents, ministres et sénateurs dans des immeuble de bureaux et non dans des palais ?
Supprimer voitures et appartements de fonctions ?
Des mandats plus cours et révocables immédiatement en cas d'incompétence ou de faute ?
Rien de nouveau hélas...
Cette nocivité du pouvoir n’est hélas pas une découverte récente (je sais rester modeste).
Machiavel, au début du XVIème siècle, a écrit dans son célèbre ouvrage politique "Le Prince" : "Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ".
Le Boss...
Bien avant Machiavel, il y a bien sûr eu Platon, "le boss". Platon a tellement compris de choses que certains disent que la philosophie depuis 2500 ans se résume à commenter ce qu'il a dit.
Dans le livre VII de sa "République", Platon explique à Glaucon qu'il ne faut donner le pouvoir qu'à ceux qui n'en veulent pas...
Lisez cet extrait du livre 7 :
" Mais vous (N.D.A. : "vous = les philosophes"), nous vous avons formés dans l'intérêt de l'État
comme dans le vôtre pour être ce que sont les chefs et les rois dans les ruches ; nous vous avons donné une éducation meilleure et plus parfaite que
celle de ces philosophes-là, et vous avons rendus plus capables d'allier
le maniement des affaires à l'étude de la philosophie. Il faut donc que vous
descendiez, chacun à votre tour, dans la commune demeure, et que vous vous
accoutumiez aux ténèbres qui y règnent ; lorsque vous vous serez familiarisés
avec elles, vous y verrez mille fois mieux que les habitants de ce séjour, et
vous connaîtrez la nature de chaque image, et de quel objet elle est l'image,
parce que vous aurez contemplé en vérité le beau, le juste et le bien. Ainsi le
gouvernement de cette cité qui est la vôtre et la nôtre sera une réalité et non
pas un vain songe, comme celui des cités actuelles, où les chefs se battent
pour des ombres et se disputent l'autorité, qu'ils regardent comme un
grand bien. Voici là-dessus quelle est la vérité : la cité où ceux qui doivent
commander sont les moins empressés à rechercher le pouvoir, est la mieux
gouvernée et la moins sujette à la sédition, et celle où les chefs sont dans
des dispositions contraires se trouve elle-même dans une situation contraire. »
Parfaitement, dit-il. Eh bien ! Crois-tu que nos élèves résisteront à ces raisons et refuseront de
prendre part, à tour de rôle, aux labeurs de l'État, tout en passant d'ailleurs
ensemble la majeure partie de leur temps dans la région de la pure lumière ? C'est impossible, répondit-il, car nos prescriptions sont justes et s'adressent
à des hommes justes. Mais il est certain que chacun d'eux ne viendra au
pouvoir que par nécessité, contrairement à ce que font aujourd'hui les chefs
dans tous les États.
Oui, repris-je, il en est ainsi, mon camarade ; si tu découvres pour ceux qui
doivent commander une condition préférable au pouvoir lui-même, il te sera
possible d'avoir un État bien gouverné ; car dans cet État seuls commanderont ceux
qui sont vraiment riches, non pas d'or, mais de cette richesse dont l'homme a
besoin pour être heureux : une vie vertueuse et sage. Par contre, si les
mendiants et les gens affamés de biens particuliers viennent aux affaires
publiques, persuadés que c'est là qu'il faut en aller prendre, cela ne te sera
pas possible ; car on se bat alors pour obtenir le pouvoir, et cette guerre
domestique et intestine perd et ceux qui s'y livrent et le reste de la cité.
Rien de plus vrai, dit-il.
Or, connais-tu une autre condition que celle du vrai philosophe pour
inspirer le mépris des charges publiques ?
Non, par Zeus.
Parfaitement, dit-il.
Eh bien ! Crois-tu que nos élèves résisteront à ces raisons et refuseront de
prendre part, à tour de rôle, aux labeurs de l'État, tout en passant d'ailleurs
ensemble la majeure partie de leur temps dans la région de la pure lumière ?
C'est impossible, répondit-il, car nos prescriptions sont justes et s'adressent
à des hommes justes. Mais il est certain que chacun d'eux ne viendra au
pouvoir que par nécessité, contrairement à ce que font aujourd'hui les chefs
dans tous les États.
Oui, repris-je, il en est ainsi, mon camarade ; si tu découvres pour ceux qui
doivent commander une condition préférable au pouvoir lui-même, il te sera
possible d'avoir un État bien gouverné ; car dans cet État seuls commanderont ceux
qui sont vraiment riches, non pas d'or, mais de cette richesse dont l'homme a
besoin pour être heureux : une vie vertueuse et sage. Par contre, si les
mendiants et les gens affamés de biens particuliers viennent aux affaires
publiques, persuadés que c'est là qu'il faut en aller prendre, cela ne te sera
pas possible ; car on se bat alors pour obtenir le pouvoir, et cette guerre
domestique et intestine perd et ceux qui s'y livrent et le reste de la cité.
Rien de plus vrai, dit-il.
Or, connais-tu une autre condition que celle du vrai philosophe pour
inspirer le mépris des charges publiques ?
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