Article mis à jour le 06/02/2022 |
Dans les années 30, le nucléaire était déjà présenté comme la miraculeuse énergie de l'avenir... |
ARTICLE ANCIEN MAIS PRECIEUX
Vous ne trouverez plus nulle part ailleurs que sur Transitio, cet article du physicien nucléaire Raymond Sené. Il date de 2008. Je l'avais trouvé sur le site (déjà fantôme à l'époque) des
Verts Ile de France. Comme les Verts, ce site a depuis disparu, et après des décennies de propagande, les actuels écologistes sont presque tous devenus pronucléaires...
Raymond Sené n'est plus, mais ne sous-estimez pas son témoignage du fait de l'ancienneté de celui-ci. Raymond Sené a fait partie de la génération qui a étudié puis construit les premières centrales nucléaires. Il en connaissait les moindres détails de fonctionnement, au contraire de l'actuelle génération qui se forme totalement en construisant les premiers EPR. Il me fait penser à Bernard Laponche, un autre physicien nucléaire, lui aussi très engagé dans la dénucléarisation de la France
Raymond Sené et son épouse Monique ont assuré durant plusieurs décennies une veille scientifique sur le nucléaire. Vous en apprendrez plus en consultant cette page de l'indispensable réseau "Sortir du nucléaire".
Le couple a également créé en décembre 1975 le Groupement de Scientifiques pour l'Information sur l'Énergie
Nucléaire (GSIEN).
J'avais déjà publié ce texte en mars 2011, mais je trouve indispensable de le republier, à présent que les mémoires s'effacent.
Ce texte décrit par le détail l'évolution du discours
du lobby nucléaire français, depuis la garantie absolue de sûreté, jusqu'à la gestion de
l'accident devenu certain. On y apprend également que le fameux EPR ne constitue aucunement un progrès technique, bien au contraire.
Je l'ai complété par un second document de Raymond Sené, datant de 1988, que j'ai trouvé sur le vieux site "dissident.media.org". Quelque chose me dit que ce site finira lui aussi par disparaitre, raison pour laquelle j'ai reproduit ici leur article en miroir. Je ne pense pas que ceux-ci m'en voudront pour cette copie, car moi-même je rêverais que nombre de mes articles soient copiés.
J'ai aussi ajouté quelques liens (y compris vers des sites institutionnels pronucléaires), quelques images supplémentaires et quelques notes complémentaires (7), (8) et (9).
Mise à jour au 05/02/2022 :
J'ai communiqué cet article à une amie Facebook, journaliste au Canard Enchaîné, mais néanmoins convaincue de la justesse du choix français du nucléaire et de la neutralité carbone de celui-ci.Elle m'a répondu que tout avait changé depuis 2008 et elle n'a surement pas pris la peine de lire le texte ni consulter ses liens (elle n'a pas lu non-plus le 2ème texte de 1988 !). Quatorze années lui semblaient une éternité parce que c'est probablement la moitié de son âge. Pourtant, 2008, c'est le début de la construction de l'EPR. C'est sur la base des choix techniques pointés par Raymond Sené, qu'est construit cet EPR toujours pas terminé (10 ans de retard). N'oublions pas non-plus qu'à peine 2 ans après son début de construction, des ingénieurs d'EDF signalaient les premières malfaçons ! Que vouliez-vous que je réponde ? J'ai laissé tomber...
Voici les 2 textes de Raymond Sené.
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Raymond Sené (1988) |
Premier texte :
COUP DE GUEULE !
De l’évolution de la doctrine de l’industrie nucléaire, par Raymond SENÉ, physicien nucléaire.
Mardi 19 août 2008
« On est donc passé, en une quarantaine d’années, de la
sûreté absolue, à l’accident possible, puis à l’accident certain, tellement
certain qu’il faut travailler, non pas la sûreté pour l’éviter, mais
l’acceptabilité de son occurrence par les populations ».
Les allégations lors des années 50 étaient : “L’énergie
nucléaire permettra de produire de l’énergie en quantité illimitée et quasiment
gratuite”.
Puis “Atom for peace” annonce le bonheur pour l’humanité et
ce ... sans risques.
Puis, c’est l’accident de Three Mile Island (1) en 1979 : _ une grosse
peur ... mais les Américains sont des ânes et ... c’est dû à l’embonpoint du
chef de quart dont la bedaine empêchait la lecture des indications sur le
panneau de conduite.
Par contre, chez nous, le Françatome (3) est d’une sûreté
inébranlable.
Néanmoins, on va remplacer les soupapes Fischer, responsables de l’accident de
Three Mile Island (car en cas de décharge, elles se coincent en position
ouverte).
J’avais oublié de vous dire que notre palier des centrales de 900 Mw est
purement du Westinghouse, construit sous licence américaine, donc après avoir
été conçu par les ânes cités plus haut.
Arrive Tchernobyl en 1986 (7) la grosse frayeur : un
réacteur à neutrons lents peut devenir surcritique prompt et vous sauter à la
figure comme un vulgaire surgénérateur.
Quel manque de savoir vivre !
Vite il faut expliquer que les Soviétiques sont des nuls,
que leurs réacteurs sont mal conçus .... etc ... même si la veille de
l’accident, on vous les donnait encore en exemple.
Je me souviens d’une réunion contradictoire tenue à Saclay, où un physicien du
Commissariat à l’Energie Atomique, un communiste pur et dur nous expliquait,
sans sourire, qu’en URSS le rendement de Carnot était plus favorable que dans
les pays capitalistes.
Ce qu’il voulait nous dire, c’était que la construction des centrales à
proximité des villes, permettait d’utiliser les rejets d’eaux chaudes pour
faire du chauffage urbain, ce qui améliorait le rendement global de
l’installation. (8)
Pauvre Carnot !!! et pauvres habitants de Pripiat ...
Mais après un moment de stupeur, et la décision de hâter la
fermeture des Graphites - Gaz (Chinon 2 et 3, St Laurent 1 et 2 et Bugey 1) qui
n’avaient guère plus d’enceinte de confinement que les réacteurs RBMK
soviétiques (telle que la centrale de Tchernobyl), notre cher M. Tanguy
(ancien directeur de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire) se hâta
d’expliquer que la probabilité pour qu’un accident grave survienne sur un de
nos réacteurs du type PWR était ... peanuts !!!
Donc, depuis le début du Françatome (9), on nous ressasse que le
nucléaire est sûr, archi-sûr et que tout est prévu pour éviter, pour empêcher
qu’un accident grave puisse se produire.
D’ailleurs, en France, nous avons une solution pour obtenir
ce résultat : il suffit de publier au journal officiel un arrêté fixant
les modalités de qualité de fabrication, de construction, permettant d’obtenir
cette sûreté absolue.
D’accord, on est en France, donc un dernier article de cet arrêté donne la
possibilité de dérogations (2).
Puis arrive l’EPR (European Pressurized Reactor) (3).
La vague de libéralisme submerge la sûreté.
Il faut que cette machine produise des KWh moins chers, pas pour le client,
mais permettant plus de profits pour les futurs actionnaires de la future boite
privée que va devenir EDF.
Donc on étudie des astuces permettant de gagner sur la disponibilité de la
machine.
Que certaines de ces options mettent en péril la sûreté, c’est certain.
Les cycles longs avec des hauts taux de combustion exigent des combustibles ayant
une charge fissile au démarrage à la limite des zones dangereuses, les
puissances résiduelles plus importantes rendent inopérants les dispositifs
d’évacuation de la chaleur en cas de gros pépin ... (4).
Qu’à cela ne tienne, les dogmes des barrières
- 1re barrière : la gaine du combustible,
- 2e barrière : le circuit primaire avec la
cuve,
- 3e barrière : l’enceinte de confinement
...en prennent un sacré coup.
Les gaines ... boff ... avec des taux de combustions de 80 à
90 GW jour/tonne ne sont garanties que grâce à une aide divine.
Donc si le cœur fond, la cuve ... fond aussi.
D’où l’apparition, tel Zorro, du récupérateur de corium, dispositif destiné,
d’après ses concepteurs à rassembler tout le corium fondu dans une zone où il
serait possible de le refroidir.
Il va falloir prévoir dans les procédures, une procession annuelle pour essayer
de mettre les Dieux dans de bonnes dispositions ... (5)
Mais, je pense que vous avez remarqué qu’on est passé
subrepticement du zéro accident grave à un dispositif destiné à confiner le
résultat d’un accident grave programmé.
*C’est cela le progrès technique.*
La phase suivante consiste, désormais puisque l’accident
grave est envisagé comme étant quasi certain, à étudier le post-accidentel.
Pour cela on dispose, grâce à Tchernobyl, d’un retour d’expérience ... pas très
encourageant !!!
De nombreuses réunions de groupes de travail, en France (CODIRPA (6) ), et au
niveau européen (European Nuclear Energy Forum), ont lieu depuis début 2008.
Un volet particulier y est étudié : l’acceptabilité par les populations du
nucléaire...
Vous rigolez ?
Non bien sûr !
...d’un accident et de ses conséquences.
Ces groupes de travail, composés en quasi-totalité de
représentants des constructeurs et des autorités administratives, débattent
doctement des astuces psychologiques qu’il faudra mettre en œuvre en cas
d’accident.
Ce n’est pas surprenant que les citoyens de base n’y soient pas représentés.
Ils pourraient avoir leur mot à dire car, en fait, après une première phase
relativement courte où ce seront les agents du site qui seront en première ligne,
ce seront eux, les voisins plus ou moins proches de l’installation, qui auront
à subir pendant des dizaines d’années, voire beaucoup plus - mais là il s’agit
de générations, les nuisances et les effets sur leur santé et sur
l’environnement.
On est donc passé, en une quarantaine d’années, de la sûreté
absolue, à l’accident possible, puis à l’accident certain, tellement certain
qu’il faut travailler, non pas la sûreté pour l’éviter, mais l’acceptabilité de
son occurrence par les populations.
Et si on arrêtait le nucléaire ?
Raymond SENÉ
Physicien nucléaire
Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN)
in la Gazette
Nucléaire (page 3-n°245/246-mai 2008)
Publication du GSIEN
2 rue François Villon 91400 ORSAY
(1) Premier accident sur un 1000 MW, mais auparavant des
réacteurs expérimentaux eurent des états d’âme destructifs, et en particulier
un Suisse construit à Lucens (1969), qui divergea puis ne s’arrêta qu’une fois
fondu.
(2) Voir décret 99-1046 du 13-12-1999 article 27
(3) L’EPR n’est, par rapport aux réacteurs des paliers 900 et 1300 Mwe (y
compris N4), qu’une petite évolution du même style que celle qui fit passer des
réacteurs graphite gaz de Chinon 2 et 3 et St Laurent 1 et 2, à celui de Bugey
1.
En fait de troisième génération, c’est une resucée de la seconde, en beaucoup
plus dangereux ! ! !
(4) D’ailleurs, nous avons appris, à l’occasion des réunions du débat public,
qu’au-dessus d’une puissance nominale de 600 MWe, les dispositifs de
refroidissement destinés à sauver la cuve seraient insuffisants, voire
inopérants.
(5) Le puits de cuve est d’ailleurs revêtu d’une couche de « béton
sacrificiel ». Quand on vous dit qu’il y a un recours aux
dieux ! ! !
(6) CODIRPA : COmité DIRecteur pour la gestion de la phase
Post-Accidentelle d’un accident nucléaire ou d’une situation d’urgence
radiologique. Lisez mon article de 2012 sur le CODIRPA "CODIRPA, ou comment gérer l'accident nucléaire en France"
(7) Lire mon article : "PRAVDA, 7 janvier 1986"
(8) Il faut savoir en effet que le rendement d'une centrale
nucléaire de 35% est lamentable, 65% de l'énergie produite sous forme de
chaleur étant évacuée dans l'air après avoir été refroidie par des tonnes d'eau
pompées en rivière ou en mer. L'idée géniale de récupérer la chaleur pour alimenter
des réseaux de chauffage urbain revient périodiquement en France, le temps qu'une
nouvelle génération d'ingénieurs réinvente la roue, ou que le lobby nucléaire
se refasse une santé ! On appelle cela à présent de la cogénération
nucléaire ! Plus d'infos sur ce serpent de mer du nucléaire en bas de cet
article publié en 2011 : "Les mystères nucléaires de Paris"
(9) Lire cet article "Les soviets plus la clim’ La fabrique de la Françatome et la gauche française" qui raconte comment la
droite et la gauche ont collaboré pour construire l'utopie nucléaire française.
Second Texte :
La sûreté nucléaire.
Des principes à la réalité
Raymond Sené, 1988.
La sûreté en matière d'industrie nucléaire
est un vaste domaine dont les motivations annoncées sont la protection de
l'homme et de l'environnement vis-à-vis des risques potentiels de ces
installations et surtout la diminution de ces risques potentiels.
Des efforts importants de sûreté sont investis nous dit-on. Oui semble-t-il
mais, avec toute ma mauvaise foi, je vais m'efforcer de vous montrer ce qui ne
va pas, afin de contrebalancer le discours officiel qui dit que tout va bien.
Souvent dans ce discours officiel revient une
comparaison avec d'autres industries, avec d'autres sources d'énergie et on
voit apparaître avec consternation les victimes de l'exploitation charbonnière.
Tout d'abord, si on veut faire une comparaison sérieuse il faut comparer d'une
part extraction de charbon et extraction d'uranium et d'autre part, centrales à
charbon et centrales nucléaires. Mais qu'importe, plaçons-nous sur le terrain
du discours officiel, et posons-nous la question, pourquoi investit-on,
semble-t-il, tant dans la sûreté en matière de nucléaire et si peu dans les
charbonnages ? Sûrement pas pour faire plaisir aux écologistes. Réfléchissons
en faisant un retour en arrière.
En
1957 à WINDSCALE, en Angleterre, un incendie du
graphite et de l'uranium conduit à une destruction du réacteur et à son arrêt.
Des rejets radioactifs provoquent un certain nombre de morts par cancers et
leucémies dans la population (contestés officiellement jusqu'à la
déclassification des dossiers en janvier 1988). Trente ans plus tard on estime
qu'il faudra 10 ans de travail pour décontaminer et ce pour un coût énorme.
[Voir vidéo de
50 mn en
RealVidéo 21 kb qui explique le rôle de l'usine et les circonstances
de l'accident]
En 1969 à SAINT LAURENT 2, en France, fusion de
plusieurs éléments combustihles, un an d'arrêt du réacteur pour réparations (
en 1980, à nouveau même type d'incident : 2 ans
d'arrêt).
En
1979
THREE MILE ISLAND; aux Etats-unis, un cœur de réacteur détruit aux
trois-quarts (nous allons revenir sur cet accident), peu de rejets dans
l'environnement. Aujourd'hui, en 1988 (11 ans après) on sait que ce réacteur
qui avait à peine un an de fonctionnement nécessitera encore des années de travail
pour son démantèlement et ce, pour un coût comparable à celui de sa
construction (environ un milliard de dollars).
En avril
1986, TCHERNOBYL en Ukraine, un réacteur détruit, pour
le moment au moins une trentaine de morts, des dégâts écologiques considérables
(Monsieur Tanguy vient de nous donner le montant de l'estimation des coûts,
environ 10 milliards de roubles, c'est-à-dire environ 60 milliards de francs).
Pour WINDSCALE, THREE MILE ISLAND, TCHERNOBYL il faut
chiffrer l'investissement définitivement perdu, la perte de production, le coût
du démantèlement. Comparez aux accidents dans les mines un coup de grisou dans
une galerie, de trop nombreux morts et au bout de quelques jours l'exploitation
reprend.
Avec un peu de cynisme on comprend alors pourquoi un
effort important de sûreté a été consenti dans le nucléaire. Ce n'est pas pour
protéger l'homme et son environnement, mais pour protéger l'outil de
production, l'investissement qu'il représente. Le représentant d'EDF vient de
vous le dire : « nous ne sommes pas fous, nous protégeons nos installations ».
Mais tout compte fait, comme seul le résultat compte, il est heureux que le
nucléaire soit cher, cela force les industriels à la sagesse. Seulement une
sagesse basée sur la peur de l'accident conduit toujours à un relâchement dès
que l'épée de Damoclès s'éloigne.
En France, aujourd'hui, la sûreté repose sur une
assise fondamentale la qualité de la conception, de la construction et de
l'exploitation.
Cette assise est réglementée par un arrêté du 10 août
1984 tellement précis qu'une circulaire explicative est nécessaire et, comme
nous sommes quand même plus latins que germains, un article prévoit que des
dérogations pourront être accordées. Ouf ! Nous sommes rassurés.
Tout ceci serait fort beau si cette assise de la
sûreté n'était pas une assise en papier, constituée de magnifiques dossiers
consciencieusement archivés.
Pour ce qui est de la qualité de la conception,
prenons l'exemple de CATTENOM.
Sur ce site situé sur la Moselle, à une dizaine de
kilomètres de Thionville et à une vingtaine de kilomètres de Luxembourg ville,
EDF a construit 4 tranches de 1 300 MWe. Les autorités de sûreté avaient à
l'époque donné un avis défavorable au choix de ce site, avis qui ne fut suivi
comme effet que de la démission du responsable et non de l'abandon du projet.
L'argument essentiel développé était le chiffre de la population cumulée autour
du site : 1 500 000 habitants dans un rayon de 50 km. Rappelons qu'à Tchernobyl
les autorités russes ont évacué les populations dans un rayon de 30 km autour
de la centrale. Cela a concerné 135 000 habitants tandis qu'à Cattenom cela
impliquerait 650 000 personnes.
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Centrale nucléaire de Cattenom |
Les tranches construites sont
du palier P'4. Ce palier est déduit du palier P4 (le palier 1 300 MWe de
Westinghouse) par une francisation qui a conduit, entre autres, à « dégraisser » un peu les installations en réduisant les marges de sécurité et en modifiant
pour les simplifier certaines installations.
Le paramètre utilisé pour dimensionner l'enceinte de
confinement, c'est-à-dire l'enveloppe de béton armé qui jusqu'en 1986 était
censée rester toujours étanche et interdire toute sortie de radioactivité en
cas d'accident, est le volume d'eau du circuit primaire. Cette eau portée à
environ 300 degrés sous 155 bars créerait, en cas de rupture du circuit
primaire, une surpression à laquelle l'enceinte doit résister.
A CATTENOM, alors que la construction du gros oeuvre
est commencée, on s'aperçoit que l'estimation du volume d'eau du primaire est
plus importante que ce qui avait été calculé dans un premier temps. Une erreur
cela peut arriver, mais à ce niveau de la conception on ne parle pas d'erreur
humaine. Ce terme de vocabulaire est réservé aux opérateurs ou aux
rondiers
s'ils confondent deux vannes ayant le même numéro.
Ce petit détail a des conséquences simples :
- Si rupture de canalisation : volume d'eau évaporé
plus important que prévu
- pression dans l'enceinte plus élevée que prévue
- donc enceinte non conforme...
Le réflexe du taupin est rapide : si on augmente le
volume à la même température, la pression diminue, donc c'est gagné. La hauteur
du bâtiment réacteur fut augmentée de 1,60m, et ce n'est qu'après coup qu'on a
commencé à envisager l'effet de cette modification sur le comportement
en cas de séisme.
Manque de chance pour le S.M.S. (Séisme Majoré de
Sécurité), la limite élastique des aciers du ferraillage risque d'être dépassée
au niveau du raccordement du fût de l'enceinte avec sa fondation. Bien sûr, le
S.M.S. contient la marge de sécurité qui conduit à prendre en compte un niveau
d'intensité supérieur d'un degré à celui du séisme maximal historiquement
vraisemblable. On pourrait fermer les yeux. Mais si on commence, autant
abandonner tout de suite les justifications de la sûreté.
Regardons maintenant la qualité de la construction, et
à titre d'exemple je vais vous narrer cette fois les problèmes rencontrés sur
les coudes du circuit primaire des réacteurs à eau légère.
Pour situer le problème, voici un schéma représentant
le circuit primaire d'une tranche de 900 MWe avec ses trois boucles. (figure 1)
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Ce circuit primaire est la deuxième Barriere présentée
avec emphase dans tous les discours sur la sûreté. La première
barrière est constituée par les enveloppes des
aiguilles de combustible et la troisième par le bâtiment réacteur : l'enceinte
de confinement.
La résistance et l'intégrité du circuit primaire sont
essentiels. Il véhicule 65 000 tonnes/heure d'eau à environ 300 degrés sous une
pression de 155 bars dans des canalisations de l'ordre de 80 cm de diamètre (ce
chiffre est arrondi puisque c'est la transcription en centimètres d'une
dimension en pouces, l'indépendance énergétique française passant par une
licence Westinghouse...). Les coudes que vous pouvez voir sur la figure 2 (5
par boucle) sont fabriqués par moulage, en sous-traitance, dans les ateliers de
Creusot-Loire, Henricot et Manoir-Pompey. Donc sur un réacteur 900 MWe nous
avons 15 coudes et sur un réacteur des paliers P4, P'4, N4 (1 300 à 1 450 MWe)
nous avons 20 coudes.
A la suite de reprises de défauts d'états de surface
consécutifs au moulage, on s'aperçut fin 1981, début 1982 sur des pièces
destinées à la centrale de KOEBERG (Afrique du Sud) qu'il y avait des
sous-épaisseurs. Des mesures sur les éléments non encore montés montrèrent
alors que de nombreuses pièces étaient fautées. Mais comment faire pour les
installations en fonctionnement ?
C'est là qu'on vit apparaître le génie administratif
français. Puisqu'il est de règle de faire des dossiers, et bien, consultons-les. On arriva alors au résultat suivant : environ 1 coude sur 5, comporte des
sous-épaisseurs allant, pour quelques-uns, jusqu'à 15 pour cent de l'épaisseur
nominale et ce pour des éléments dont certains sont en service depuis 1977
(FESSENHEIM).
Les dossiers de mesure avec les fiches d'anomalies existaient mais depuis près
de 10 ans personne n'en avait tenu compte.
La première mesure corrective fut, d'après les textes
officiels « d'affiner les calculs pour mieux dégager les marges réelles,
actuellement masquées par le conservatisme des codes » « en vue de justifier les
sous-épaisseurs ». Ce qui en langage de pékin moyen peut se traduire par « on reprend les calculs en bricolant les paramètres jusqu'à ce que les
épaisseurs fabriquées donnent une résistance théorique conforme aux exigences
de la sûreté ».
Espérons que ce n'est pas à la suite de tortures
intellectuelles analogues des codes de calcul que l'hiver dernier certaines structures
des remonte-pentes ont eu des états d'âme.
Depuis, pour les éléments qui étaient accessibles et
dont le défaut dépassait 10 pour cent on a rechargé en métal. Pour les tranches
divergées, le contrôle lui-même s'avère délicat en raison des débits de dose
pour le personnel.
S'il n'y avait que ce problème des coudes moulés...
Mais en fait ce n'est qu'un des éléments d'un vaste ensemble de défectuosités
de montage ou de malfaçons en fabrication.
Souvenez-vous en 1979, les syndicats
bloquent les machines de chargement de combustible sur TRICASTIN, GRAVELINES et
DAMPIERRE pour forcer la direction d'EDF à
faire étudier les fissurations sous revêtement des brides de
raccordement à la cuve et des plaques tubulaires des générateurs de vapeur. Ces pièces en acier noir sont
recouvertes par « beurrage » d'une couche d'acier inoxydable pour les protéger de
l'eau du circuit primaire. Les contraintes thermiques induisent des fissures à
l'intérieur dans la zone de contact de deux matériaux. Ces problèmes, en
particulier sur les plaques tubulaires de générateurs de vapeur, n'étaient pas
nouveaux. Ils avaient été soulevés dès 1976. Mais à cette époque, le programme
nucléaire était en pleine euphorie et rien ne devait le retarder.
Depuis on a détecté des anomalies de fabrication sur divers composants,
certains de grande dimension comme le pressuriseur. Mais une fois mis en place,
bloqué dans sa casemate il est quasi impossible d'aller reprendre
les soudures défectueuses. Encore une fois, ce qui primait, c'était les
délais, la rapidité de construction.
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Pressuriseur en cours de manutention |
Au travers de cette analyse, on a
le sentiment que le discours politique et le discours économique priment le
discours technique. Politique car en France, le programme de construction
nucléaire a été décidé par l'Etat qui a ainsi accepté de se placer sous la
dépendance de groupes technocratiques et il n'était pas question de donner
prise à la contestation. Economique, nous l'avons vu en 1979 avec la question
des fissures.
Tout d'abord ces fissures sont apparues en raison de la simplification de la
procédure technique proposée par Framatome pour gagner du temps donc de
l'argent, modification de procédure acceptée par EDF et par les autorités de
sûreté. Puis une fois les défauts détectés, les calculs qui ont été refaits ont
été effectués en tirant sur les hypothèses (modélisation des formes des fissures
par exemple), afin de montrer que ces fissures ne deviendraient gênantes qu'au
bout de 20 ou 30 ans. Ainsi les frais de réparation repoussés du présent à
un futur lointain devenaient négligeables, grâce à des calculs avec des taux
d'actualisation dont les économistes d'EDF ont le secret. Nous avons déjà eu
droit au même raisonnement pour expliquer qu'il n'est pas utile de provisionner
pour l'opération de démantèlement des réacteurs.
Pour la qualité de l'exploitation, je ne citerai que deux exemples :
1. TRICASTIN, 20 février 1987. Une fuite sur le circuit d'injection de sécurité
d'acide borique. C'est un élément essentiel à la sûreté du réacteur. Une
réparation par bricolage a été réalisée sans arrêter le réacteur, et même sans
prévenir les autorités de sûreté. Comme on dit pudiquement à EDF, «il y avait
divergence d'appréciation sur l'application des règles d'intervention sur les
circuits importants pour la sûreté, entre l'Ingénieur de Sûreté et
Radioprotection et le Chef de Centre». Si on se met à faire des courses entre
unités de production pour le ruban bleu de la plus longue période de
fonctionnement sans arrêt d'urgence, il va arriver des tchernobyleries dans nos
campagnes. Il n'empêche que le SCSIN (Service Central de Sûreté des
Installations Nucléaires - Ministère de l'Industrie), en apprenant la chose a
piqué son coup de sang et a fait arrêter la tranche, le 13 mars. Cela ne
faisait que trois semaines qu'on batifolait avec la sûreté.
2.-CREYS-MALVILLE, dès le 8 mars 1987, les systèmes de détection de fuite de
sodium dans l'espace entre la cuve du barillet et son enceinte de sûreté
donnent des alarmes. Les responsables de la sûreté de
SUPERPHENIX mettent en doute le fonctionnement des
bougies de détection, la fiabilité du système de transmission et se décident la
mort dans l'âme, à aviser les autorités de sûreté le 3 avril, près d'un mois
plus tard. Ce manquement grave aux consignes nous fait nous poser des questions
quant à «la qualité de l'exploitation ». Quand on réalise que ce sont des
dispositifs du même type qui sont censés surveiller toute fuite de sodium
provenant de la cuve du réacteur, on ne peut qu'être atterré par le
comportement des opérateurs. A moins qu'effectivement ces bougies soient
défectueuses, mais alors en quoi peut-on faire confiance ?
Je n'avais pris que ces deux exemples, mais l'actualité vient de m'en apporter
un troisième. Je me contenterai de citer un article du journal Le Monde daté
du 22 janvier 1988 :
« Des essais sans autorisation à la centrale nucléaire
de PALUEL. Les équipes de la tranche numéro un de la centrale nucléaire de
Paluel ont failli aux règles de la sûreté dans la journée du 24 novembre 1986
en procédant sans autorisation à des essais sur le réacteur. (...) Cette
information fournie, plus d'un an après l'incident, par une source anonyme,
mais confirmée depuis par EDF. (...) Ce défaut de procédure administrative
n'est pas du goût du Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires,
qui estime que cette opération constitue, du point de vue de la sûreté, une
démarche inacceptable (...)».
Mon seul commentaire, en l'absence d'informations détaillées : il est heureux qu'il existe des sources anonymes pour permettre aux
autorités de sûreté de faire leur travail, même si c'est à retardement.
Il y a une façon complémentaire d'aborder la sûreté,
c'est le retour d'expérience. Ceci porte aussi bien sur les petits incidents
courants que sur les accidents de grande ampleur. Compte tenu de l'importance
du parc de réacteurs à eau légère, l'expérience tirée de Tchernobyl ne porte
que très peu sur la sûreté mais surtout sur la sécurité, c'est-à-dire sur les
procédures post-accidentelles. Par contre, THREE MILE ISLAND, bien que moins
grave, aura été
une
source d'enseignement incomparable. Mais avons-nous bien retenu la leçon ?
Souvenez-vous, le 28 mars 1979, tôt le matin, survenait
sur la tranche 2 de la centrale de Three Mile Island,
un
enchaînement d'incidents qui conduisait à l'accident considéré
jusqu'en 1986 comme le plus grave. Avec Tchernobyl, les Russes ont repris la
tête... En fait, sur le plan technique, T.M.I. est bien l'accident qui nous
concerne le plus. Il est survenu sur un réacteur d'un modèle très voisin de
ceux qui constituent l'essentiel de notre parc. (Et je vous renvoie donc à
la
Gazette n°26/27 à ce sujet...)
La suite vous la connaissez, il a fallu plusieurs années pour pouvoir pénétrer
dans le bâtiment réacteur et lorsque les spécialistes purent enfin faire entrer
une caméra dans la cuve, ils furent effarés de constater que les dégâts subis
par le combustible étaient beaucoup plus graves que ce qu'ils avaient pensé.
Les plus optimistes estimaient qu'une partie du cœur s'était effondrée en
raison d'une destruction partielle des gaines. Ce qu'ils découvrirent c'est
qu'en plus, une partie du cœur avait fondu.
La boutade des ingénieurs de Westinghouse, le syndrome chinois, c'est-à-dire le
cœur fond et la masse auto-entretenant sa température transperce cuve, béton
et s'enfonce dans le sol, s'enfonce, s'enfonce jusqu'à ressortir en Chine,
cette boutade, du moins dans sa première partie, avait failli devenir une
réalité.
Cet accident eut bien évidemment un effet considérable
sur le moral des pays occidentaux équipés en grande majorité de réacteurs à eau
légère et en particulier à eau pressurisée. Aussitôt, pour calmer l'opinion
publique, on parla d'erreurs des opérateurs, ce qui était satisfaisant pour
l'esprit. Mais au sein des services de sûreté, l'analyse de cet accident fut
lancée afin de tirer le maximum d'enseignements pour notre propre matériel. Il
était aisé d'accuser le générateur de vapeur du type BabcokWilcox d'avoir une
inertie en eau plus faible que le type Westinghouse que nous utilisons, mais en
fait cette différence n'est pas significative pour la genèse de l'accident.
La première fautive identifiée est l'électrovanne du
pressuriseur.
Or sur le parc français les pressuriseurs sont équipés
du même modèle d'électrovanne et on retrouve en d'autres endroits du
circuit hydraulique des vannes de la même technologie. Le défaut constaté à
T.M.I. n'est pas une nouveauté pour nous. Le 21 mars 1979, une semaine avant
T.M.I., le même scénario s'était déroulé à BUGEY 5 pendant les essais à chaud,
c'est-à-dire ouverture de la vanne de décharge du pressuriseur et rupture de la
membrane du ballon de décharge. Le 3 avril 1979, une semaine après T.M.I., à
GRAVELINES c'est une soupape de sûreté du circuit de refroidissement du
réacteur à l'arrêt qui s'ouvre et ne se referme pas pendant les essais à chaud.
On vide dans le bâtiment réacteur environ deux fois le volume du circuit
primaire.
Depuis, des incidents ont continué à avoir lieu car
les soupapes ont tendance à ne pas se refermer et les vannes sont difficiles à
qualifier aux conditions d'ambiance accidentelle.
Dès 1981, EDF a étudié la possibilité de remplacer ces
équipements par les soupapes pilotées SEBIM et en 1988 il n'est pas évident que
tous les problèmes soient résolus ni que toutes les tranches soient entièrement
équipées. On voit ici les problèmes liés à une technologie très délicate et à
l'inertie d'un énorme programme. En 1986 le SCSIN réclamait à EDF l'inventaire
de toutes les vannes de ce type...
Autre préoccupation, les tableaux d'affichage des
salles de commande. Ceux de T.M.I. étaient d'une conception désuète, sans
hiérarchisation des alarmes, chose pourtant courante en 1979 sur les tableaux
de bord des avions. Si tous les voyants s'allument en cascade, transformant la
salle en arbre de Noël, il devient impossible de savoir quel est l'événement
initiateur de toutes les alarmes. En France la situation était du même genre et
malgré les améliorations apportées, il reste des aberrations conduisant à des
situations critiques. En 1984, sur BUGEY 5, on a frisé la catastrophe par
perte d'alimentation électrique du réacteur parce qu'un signal d'alarme
important était regroupé dans une vérine avec d'autres fonctions qui étaient
l'objet de fausses alarmes fréquentes. En 1986, sur BLAYAIS 3, au
redémarrage, on a fonctionné 4 heures hors critères de sûreté (sans injection
de sécurité) parce qu'en configuration de redémarrage de nombreuses vérines
sont allumées, signalant des fonctions ou des paramètres non en position
standard et de ce fait les alarmes réelles n'ont pas été vues.
Autre leçon sur T.M.I., la vanne de l'alimentation de
secours des générateurs de vapeur était fermée, grave manquement aux consignes
dû à un oubli après redémarrage.
La situation n'a pas changé, il y a tellement de
fonctions à consigner lors d'un arrêt de tranche, que dans la précipitation
d'un redémarrage (pas de perte de production s.v.p.) il y a des déconsignations
oubliées. Pour n'en citer que quelques-unes parmi les plus récentes :
FESSENHEIM 2, septembre 1987, 2 pompes à basse
pression du circuit d'injection de sécurité non reconnectées au réseau d'alimentation. L'alarme
étant commune à la basse pression et à la moyenne pression, le défaut ne sera
vu qu en arrivant en moyenne pression.
TRICASTIN 3, octobre 1987, 2 pompes du circuit
d'aspersion de l'enceinte non rebranchées.
BLAYAIS 3, octobre 1986, injection de sécurité hors service : moteur non branché, vannes fermées, dispositif d'automatisme de
l'injection de sécurité inhibé. L'ensemble de ces défauts ne sera vu que 4
heures après le démarrage.
Parmi les leçons essentielles à retenir, il y aura
bien évidemment la nécessité de la formation du personnel et de la rédaction de
notices d'intervention permettant d'effectuer les bonnes manœuvres même en cas
d'affolement. Mais n'oublions pas qu'à T.M.I., si les opérateurs ont pataugé,
c'est en raison de notices inadaptées [voir le documentaire de
51mn en Realvideo 33Kb], d'appareils de mesure dont les gammes
d'échelles étaient insuffisantes, de sorties d'ordinateurs ininterprétables en
raison d'overflow (nombre de bits insuffisants). Ces erreurs sont des erreurs
de conception et non de conduite. Mais c'est un réflexe facile pour les
ingénieurs du niveau conceptuel ou décisionnel de se décharger sur le lampiste
plutôt que de prendre leurs responsabilités.
Revenons à Bugey, en 1984, pendant la perte
d'alimentation électrique. La plupart des divagations de l'alimentation étaient
dues à une erreur de conception de la logique de sûreté. Tout était prévu pour
que des tensions soient à leur valeur nominale ou à zéro. Mais nos spécialistes
avaient en toute rigueur oublié qu'une tension pouvait ne pas se couper
brutalement, mais baisser lentement, ce qui provoque des états d'âme aux relais
électromécaniques.
La dernière leçon de T.M.I. que je vais évoquer
concerne la philosophie même des barrières.
Pendant 10 ans toute
l'information d'EDF, toute la propagande, utilisait l'image des matriochkas,
ces poupées russes qui s'emboîtent, pour décrire les trois barrières
consécutives qui devaient assurer le confinement absolu des produits
radioactifs en cas d'accident majeur. Les trois barrières sont (pour mémoire) le gainage du
combustible, le circuit primaire et le bâtiment réacteur. T.M.I. a fait voir
que même avec une petite brèche, donc avec une pente lente d'eau, la montée de
pression conjuguée à une explosion d'hydrogène, faisait approcher
dangereusement de la limite de résistance mécanique de l'enceinte. De plus la
formation d'un corium, masse en fusion comprenant entre autres le combustible
fondu, peut conduire à une situation hors dimensionnement. Ce corium
attaquerait le béton du sol en dégageant un fort volume de gaz carbonique. La
pression totale risquerait d'ouvrir l'enceinte en ses points faibles. La notion
de troisième barrière a vécu.
Aussi un palliatif a été imaginé. Il est prévu de
faire chuter la pression dans le bâtiment réacteur en faisant sortir les gaz en
passant à travers
un filtre grossier constitué de lits de sable, sable
destiné à piéger entre autres, une partie des iodes. Ce sont les fameux bacs à
sable en cours d'installation. Espérons qu'aucun responsable de site n'aura à
prendre la décision de les utiliser car il sera toujours possible de lui faire
valoir ensuite que son relâchement de produits radioactifs n'était pas utile.
Par contre, il est à craindre que ces filtres s'avèrent inutiles si le scénario
se développe trop rapidement sans lui laisser le temps de référer à sa
hiérarchie. On a vu à Tricastin que les divergences d'interprétation de
l'esprit des textes peut conduire à tergiverser pendant une bonne semaine
Après cet inventaire alarmant, faut-il considérer que rien ne marche ?
Ce n'est évidemment pas la situation actuelle. Le parc
nucléaire fonctionne avec un facteur de charge qui semble satisfaisant. Mais il
ne faut pas se leurrer. Une voiture peut rouler à vive allure sur autoroute
avec des pneus lisses et des freins défaillants. Tant qu'il n'y aura pas de
problèmes de circulation et que la chaussée sera sèche, le chauffeur pourra se
vanter des moyennes éblouissantes réalisées. Nous ne souhaitons pas qu'il rencontre
des nappes de brouillard... Le pays est engagé dans un programme démesuré,
construit trop vite, ne laissant pas la place à une diversification des sources
d'énergie. Pour le moment, il faut bien vivre avec. Nous ne voudrions pas avoir
eu raison en criant « au loup ». L'importance du parc provoque une inertie
considérable, donne des délais énormes à la mise en oeuvre de modifications
indispensables. Il faut étaler dans le temps pour ne pas tout arrêter en même
temps, production électricité oblige. Rappelez-vous seulement le problème des
portes arrière des avions DC 10. Le problème du mauvais verrouillage était
connu. Les modifications définies. Mais il n'était pas question d'immobiliser
une part importante du parc pour intervenir rapidement. Il avait été décidé
d'étaler les réparations. Cet étalement fut aussi celui des passagers
lorsqu'une porte s'est ouverte au-dessus d'Ermenonville... Aussi, au vu de tous
les petits incidents, sans suite, de ces petites alarmes, de la chance
manifeste qui dans des situations critiques a permis de « passer » comme disent
les spécialistes, il faut redoubler de vigilance et de rigueur.
J'espère que l'attitude des autorités de sûreté,
suivies en cela pour une fois par le pouvoir politique, va se maintenir. En
effet, pour CREYS-MALVILLE, elles ont répondu au volumineux mémoire d'EDF
(plusieurs milliers de pages) justifiant la demande d'autorisation de
redémarrer Superphénix sans son barillet, qu'elles souhaitaient non pas des
principes théoriques mais des dispositions pratiques détaillées.
Espérons que l'effet de relance de la sûreté lié à
Tchernobyl ne soit pas un feu de paille. Rappelons qu'au lendemain de T.M.I.,
les responsables de la sûreté, plein de la volonté de faire passer des mesures
qu'ils préconisaient depuis longtemps, s'étaient heurtés au mur d'EDF, conforté
par le mur politique. Leur dynamisme s'est émoussé au fil des années et il a
fallu Tchernobyl en 1986 pour que les sommes investies par EDF en 1987 dans les
mesures post T.M.I. remontent au niveau de 1985.
Il fallut Tchernobyl pour que le SCSIN réalise
pleinement la faiblesse de ses moyens en hommes pour une aussi lourde tâche
malgré un programme de constructions réduit, mais avec maintenant un parc
vieillissant où la fatigue du matériel prend le relais des pannes de jeunesse.
Pour conclure, je vous montrerai une figure
allégorique qui, à mon avis, symbolise assez bien l'enthousiasme d'EDF à
améliorer la sûreté de son parc de centrales, entraîné dans cette voie par des
autorités de sûreté dynamiques :
Document présenté par Raymond Sené (GSIEN) au Conseil
Général du Tarn et Garonne,
Montauban, 21-23 janvier 1988,
Colloque: "Nucléaire - Santé - Sécurité",
Mise à jour au 06/02/2022 :
En passant en revue les articles du site, j'ai trouvé cet autre article de Raymond Sené concernant la... fusion nucléaire.
Cliquez sur l'image ci-dessous, vous n'allez pas être déçus...
Plus d'infos ?
Si le sujet de l'énergie nucléaire vous intéresse et que vous découvrez Transitio.info (qui ne traite pas que de nucléaire), je vous propose de lire les articles suivants :
Le nucléaire n'a pas d'avenir. Preuve par 2 chiffres.
Pourquoi le choix du nucléaire constitue-t-il une erreur de direction sur la route des solutions climatiques.
Transition énergétique vers la dépendance.
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