En janvier 2013, j’avais rédigé sur Transitio un article très documenté sur les bienfaits de la pensée négative :"Soyez négatifs, mettez-vous en colère. Vous vivrez heureux et longtemps". (Quel beau titre ! 😉). La vague montante de la pensée négative et son cortège de niaiseries sucrées m’inquiétait déjà à l'époque, mais je ne m’y étais pas vraiment attaqué.
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Laissons faire une pro ! (Pour attaquer les escrocs)
La docteure en philosophie, Julia De Funès, a publié en 2021
un excellent livre intitulé « Développement (im)personnel : le succès d’une imposture », dans lequel elle démonte avec art l’escroquerie que
constitue ce courant de pensée (pensée positive, bien sûr).
Julia De Funès |
Son livre constitue une bouffée d’air frais, au milieu des
vapeurs enivrantes et abrutissantes distillées par les non-livres publiés à
profusion sur le thème du développement personnel par des légions de coachs et
autres maîtres, gourous ou sages d’opérettes, qui prétendent proposer des « outils
concrets et utiles » permettant aux gens de s’accomplir personnellement.
Le fléau des coachs.
La plupart de ces quidams ont une culture de niveau
élémentaire et n’ont jamais lu un livre de philosophie, ni même de psychologie ! Mais pourquoi le
feraient-ils ? Puisque dès qu’ils se sont autoproclamés « coachs »
(voire experts, consultants ou maîtres), des milliers de malheureux égarés affluent avec leur argent durement gagné pour
bénéficier de leurs conseils de grands-mères.
Ces bonimenteurs et leurs montagnes de pseudos-livres constituent autant d’obstacles à un accès salvateur à la philosophie, véritable source de savoir et de bien-être. Pour accéder à un bonheur simple, ou plutôt à la paix (car le bonheur est fugace), mieux vaut lire le petit manuel d’Epictète ou les simples préceptes d’Epicure , que de se tartiner les âneries des Quatre accords toltèques, la sagesse à 2 sous de l’illuminé Matthieu Ricard, ou l’inénarrable « La puissance de la joie » du pathétique Frédéric Lenoir. Je suis sévère, je le reconnais, car je n'ai pas choisi les pires. Il y a en effet de vrais neuneus, bêtes à manger du foin, qui publient des "livres" à mourir de rire, sans parler de leurs vidéos !
Curieusement, plus le niveau d’instruction baisse, plus les gens se tournent vers ces faiseurs de bonheur. Il n'y a rien d'étonnant à cela, l'école ne satisfait plus le désir d'apprendre, tant elle se préoccupe de fabriquer des citoyens idéalisés. Mais le désir de comprendre le monde et même sa propre vie, est toujours là. L'école n'apprend pas apprendre. Les moyens de s'instruire et s'informer se sont multipliés mais on n'apprend pas aux élèves à les utiliser,
L'esprit critique, ça s'apprend ! Comme il n'est jamais trop tard pour apprendre, je vous conseille de lire mon article intitulé : "Savez-vous lire les camemberts ?"
A lire absolument ! |
Je plains de tout mon cœur les
malheureux qui s’égarent et se perdent dans les marécages de la pensée positive
et qui se ruinent en achats de livres, stages, formations, etc. Ce ne sont pas
eux que l’on doit condamner, leur besoin de s’épanouir est légitime. Quant aux
coachs, que dire de ces sages de foire dont certains doivent croire vraiment à
leurs âneries ? Ne sont-ils pas eux-mêmes de malheureux produits de notre société malade ? Certes, mais ils profitent de la faiblesse des plus faibles ! Je préfère donc me moquer d’eux, ce qui est déjà fort
charitable de ma part.
Citation, commune à Matthieu Ricard et Henri Ford |
La puissance de la joie est accessible à tous ! |
Julia De Funès fait remonter la mode du développement personnel aux années 70 aux USA. C’est vrai que le New Age a commencé à sévir vraiment à partir de ces années-là, avant d’être "théorisé" par Marylin Ferguson dans son livre Les Enfants du Verseau publié en1980.
Il est vrai que cette période correspond également avec l'effondrement de nombre d'idéologies ou religions qui avaient le mérite de donner des réponses simples aux questions existentielles.
On peut néanmoins se demander si cette sous-pensée ne remonte pas à plus loin. Certains prétendent qu’elle constitue l’un des outils d’asservissement du capitalisme (donner des faux savoirs et des fausses réponses aux personnes les plus curieuses). Cette énième accusation versée à l’encontre du capitalisme n’est peut-être pas si exagérée que ça ! Il suffit de lire les premières phrases du poème de Charles Baudelaire « Assommons les pauvres » composé entre 1864 et 1865 et publié en 1869, pour avoir un début de confirmation de cette accusation.
Lisez plutôt…
ASSOMMONS LES PAUVRES !
Pendant quinze jours je m’étais confiné dans ma chambre, et je m’étais entouré des livres à la mode dans ce temps-là (il y a seize ou dix-sept ans) ; je veux parler des livres où il est traité de l’art de rendre les peuples heureux, sages et riches, en vingt-quatre heures. J’avais donc digéré, — avalé, veux-je dire, — toutes les élucubrations de tous ces entrepreneurs de bonheur public, — de ceux qui conseillent à tous les pauvres de se faire esclaves, et de ceux qui leur persuadent qu’ils sont tous des rois détrônés. — On ne trouvera pas surprenant que je fusse alors dans un état d’esprit avoisinant le vertige ou la stupidité.
Il m’avait semblé seulement que je sentais, confiné au fond de mon intellect, le germe obscur d’une idée supérieure à toutes les formules de bonne femme dont j’avais récemment parcouru le dictionnaire. Mais ce n’était que l’idée d’une idée, quelque chose d’infiniment vague.
Nouvelle religion ?
Tout le fatras psycho-spirito-managérial de ce mouvement ne s'apparente-t-il pas à une sorte de nouvelle religion. La nature ayant horreur du vide, l'effacement des religions favorisant l'apparition de ce nouveau cadre de pensée (et de soumission) ?
Comparer un coach à un curé me semble malgré tout un peu rapide. C'est faire fi des années d'études en théologie du curé et du cadre intellectuel (et dogmatique) imposé par sa hiérarchie. Vous pouvez en effet devenir coach après 3 jours de formation et la lecture d'un pseudo livre compilant les devises de l'Almanach Vermot. Je comparerai donc plutôt le coach à un pasteur, puisque la version dévoyée américaine du protestantisme, permet à n'importe quel neuneu de fonder sa propre église et de se déclarer ministre du culte. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si cette mode du développement personnel vient des USA, un pays ou le niveau d'instruction a drastiquement diminué il y a déjà longtemps et où l'esprit religieux reste très fort présent.
Conclusion ?
Il semble donc se confirmer que les théories fumeuses du développement personnel, ne sont
donc pas destinées à nous éveiller, mais plutôt à nous assommer.
P. S. : Contrairement à mes mauvaises habitudes, j’ai essayé d’écrire
un article court. Si le sujet vous intéresse, achetez le livre de Julia De
Funès et/ou regardez la vidéo ci-dessous.
Voici la présentation de son livre ou plutôt « la
quatrième de couverture » :
Comment se « développer » quand on est sans cesse « enveloppé » par des coachs ? Comment le développement serait-il « personnel » quand guides et manuels s'adressent à chacun comme à tout autre ? La philosophe Julia de Funès fustige avec délectation les impostures d'une certaine psychologie positive. « L'authenticité en 5 leçons », « La confiance en soi : mode d'emploi », « Les 10 recettes du bonheur »... Les librairies sont envahies d'ouvrages qui n'en finissent pas d'exalter l'empire de l'épanouissement personnel. Les coachs, nouveaux vigiles du bien-être, promettent eux aussi sérénité, réussite et joie. À les écouter, il n'y aurait plus de « malaise dans la civilisation », mais une osmose radieuse. Nous voici propulsés dans la « pensée positive » qui positive plus qu'elle ne pense ! C'est le non-esprit du temps. Pourquoi le développement personnel, nouvel opium du peuple, rencontre-t-il un tel engouement ? Sur quels ressorts psychologiques et philosophiques prend-il appui ? L'accomplissement de soi ne serait-il pas à rechercher ailleurs que dans ces (im)postures intellectuelles et comportementales ? Pour lutter contre la niaiserie facile et démagogique des charlatans du « moi », Julia de Funès propose quelques pépites de grands penseurs. Si la philosophie, âgée de 3000 ans, est toujours là, c'est qu'en cultivant le point d'interrogation, elle développe l'intelligence de l'homme, fait voler en éclats les clichés et les lourdeurs du balisé, et permet à chacun de mieux affirmer sa pensée et vivre sa liberté. L'esprit n'est jamais mort, la réflexion ne rend pas les armes, une libération est toujours possible !
Et voici la vidéo !
Mais si vous avez encore du temps, n’oubliez pas de lire mon
article de 2013 sur les bienfaits de la pensée négative !
Oups ! J'allais oublier ce "vraiment dernier" conseil !
Faites attention à qui vous parlerez éventuellement de cet article et réfléchissez bien avant de le partager sur Facebook. Vous risqueriez en effet de perdre des amis chers ! C'est presque aussi dangereux que de dire à la fin d'un repas que l'homéopathie est une escroquerie !
Je vous aurais prévenus. 😇
Pour vous donner une idée de ce qui peut vous arriver, j'ai détourné ce célèbre dessin de Caran d'Ache à propos de l'affaire Dreyfus, intitulé "Le dîner en famille"... 😉
Bertrand Tièche vous remercie de votre lecture 😉